1. "Le Trèfle à quatre Pages"

La nuit venait de tomber sur la petite rue mal éclairée. Les étoiles, bien cachées derrière les nuages, restaient invisibles, en tout les cas pour l'oeil humain.
Dans un recoin encore plus sombre de cette rue, se tenait une Librairie d'aspect ancien, dont l'enseigne Figurait un livre ouvert, dont les pages avaient la form d'un trèfle à quatre feuilles.

Devant cette même librairie se tenait un jeune homme qui inspectait la devanture de bois sombre, grattant d'un air dubitatif la peinture qui s'écaillait.

*Flûte... Va falloir que je passe un coup de pinceau...*

Marion voulait une librairie ancienne, pas vétuste. Avec un soupir, il s'apprêtait à rentrer chez lui, au troisième étage de l'immeuble, au dessus de sa boutique, quand quelqu'un s'adressa à lui...

"C'est un librairie.Précisa poliment Marion. Mais la consultation des livres sur place est autorisée. Quant à savoir si elle est ouverte, la réponse est oui."

Marion eut un sourire légèrement résigné, les yeux toujours fixés sur la devanture, avant de se retourner vers l'homme qui lui faisait face... Il était plutôt grand, l'air sûr de lui, voire un poil trop, et sinon chalereux du moins poli.

Lorsqu'il tendit la main, Marion la serra avec un petit sourire.

"Marion. Enchanté."

Le jeune homme sourit poliment, puis, songeant qu'il mourrait d'envie de boire un café, ne trouva pas d'autre solution que de proposer à ;l'inconnu de monter.

"Seriez-vous prêts à braver trois étages pour un café, ou préférez-vous partir en quête -hasardeuse, précisons le- d'un établissement correct ouvert?"

A dire vrai, le jeune homme n'aimait pas beaucoup sortir la nuit. Non pas qu'il ai eu peur, mais d'ordinaire, il n'avait personne pour l'accompagner et, comme chacun sait, les virées nocturnes ne sont pas aussi amusantes quand on est seul... Et puis bon, il fallait avouer aussi que le soir, Marion aimait bien cocooner...

Marion attendit patiemment la réponse de Lucius... Qui fut négative. Quelque peu désappointé, le jeune homme retint un léger "oh" mais son sourire intérieur réaparut lorsque son vis-à-vis lui fornit une explication. Même si...

"Allergique à l'eau? Je n'avais jamais entendu parler de ça!"

Un peu trop crédule, sur ce coup la... Toujours est-il que Marion ne songea pas à douter de la parole de son interlocuteur. A son tour, il réfléchit quelques secondes, pesant le pour et le contre de l'idée qui germait vitesse grand V dans sa tête.

"Rien ne vous oblige à boire ou à manger, vous savez. Dit-il gentiment. La vérité c'est que je ne connais personne à Paris, et j'aimerais que cela change."

De nouveau, Marion sourit. Décidément, il était de bonne humeur ce soir... Et puis, comme il venait de le sous entendre, un peu de compagnie ne serait pas de refus. Ce n'est pas drôle d'arriver dans une grande ville ou on ne connaît personne. Aussi, Marion décida d'en rajouter une couche.

"Que diriez-vous de bavarder, tout simplement? Bien entendu, cela n'engage à rien..."

Tout en montant les escaliers, Marion se fit la réflexion que, contrairement à ce qu'on lui avait dit, tout les Parisiens n'étaient pas des rustres. Mais peut-être était-il tombé sur le seul qui ai eu de bonne manière? La vision d'une horde de personnes sans visage hurlant des obscénités dans une cathédrale lui vint à l'esprit, et le jeune homme retint un sourire.
Puis, comme Lucius engageait la conversation il chassa tout bonnement cette amusante image pour lui répondre.

"En effet, je suis arrivé il y quelques jours à peine. J'arrive d'Irlande."

Il s'interrompit un instant, le temps d'introduire sa clef dans la serrure de la porte qui séparait son appartement de la boutique. Dans le même temps, s'étant souvenu qu'il avait laissé ladite boutique ouverte, il en actionna le loquet à distance, assez satisfait de sa maîtrise de son don.

"Je vivait à Dublin, poursuivit-il. Jolie ville, mais pas très sûre. Remarquez je suppose que c'est le cas de toutes les grandes villes."

Le jeune homme débarrassa son invité de son manteau et l'invita à prendre une chaise.

"Veuillez m'excuser, mes fauteuils ne sont pas encore arrivés. Vivez-vous depuis toujours à Paris?"

Tout en parlant, Marion avait mis une casserole de café à réchauffer. Cette boisson était bonne, mais coûteuse, mieux valait la faire durer longtemps...

[Je suis pas sûre que les haut-de-Forme existaient, au 18eme...]

Ah, oui, les paysages. A croire qu'il n'y avait que ça, en Irlande: les paysages. Pourquoi diable tout le monde ne se souvenait-il que des paysages? Oh, Marion les aimait beaucoup, et il avait passé des journées entières à jouer dans les landes, la n'était pas le problème. Mais il y avait aussi des gens, une culture et des villes en Irlande!

"Très beau paysages en effet. Mais la plupart des citadins s'en lassent au bout d'une heure ou deux."

Marion nota que Lucius posait une main sur son estomac et se demanda si c'était de la faim ou une crampe... quelque chose dans le genre. Quoi qu'il en fut, il ne dit rien, et retira la casserole du feu, versant une part du liquide dans une tasse.

Le jeune homme hocha la tête quand Lucius répondit par l'affirmative à sa question. L'avantage d'avoir toujours vécu au même endroit, c'était qu'on finnissait par bien connaître la ville. Il aurait parié que Lucius ne se perdait pas souvent.

La question concernant son statut surpris un peu Marion. Ce n'était pas vraiment le genre de question à laquelle il s'attendait, du moins pas lors d'une première rencontre... Néanmoins, tout en s'asseyant, sa tasse à la main, il répondit avec indifférence:

"Je suis veuf. Mes parents m'ont marié lorsque j'avais dix-neuf ans à une riche noble Irlandaise. Il but une gorgée de café avant de poursuivre. Malheureusement la dame était fort agée, et elle est morte dans la semaine qui a suivit notre union. Je n'avais pas même eu le temps d'apprendre son prénom."

Marion contempla le vide un instant, songeant que son histoire était quelqu peu ridicule et ironique.

"Depuis mes parents ont renoncé à s'occuper de mon mariage, et j'ai conservé le célibat. Et vous-même?"

Marion rit à la remarque de Lucius concernant les salons parisiens. Décidément, les nobles étaient bien tous les mêmes quelque soit l'endroit ou on le rencontrais...

"Rassurez-vous, vous êtes normal. La hautes société Irlandaise a exactement les mêmes réactions. Question de principe, j'imagine. Ce qui est assez amusant, reprit-il avec un sourire c'est qu'avec ce genre de comportement, la haute bourgeoisie reprends exactement les principes de la noblesse qu'elle déteste..."

Les vestiges de la révolution. Cette simple expression suffit à titiller l'historien qui sommeillait en Marion. Oh, c'était encore du passé récent, et le peuple Français ma continuait, mais nul ne pouvais nier qu'elle resterait gravée dans les mémoires. Pourtant...

"Finalement, c'est à se demander si cette révolution était réellement utile. A la place d'un despote de droit Divin, la France a maintenant un despote Républicain... J'avoue avoir quelques difficultés à saisir l'amélioration."

C'était vrai. peut-être le futur serait-il meilleur, mais dans l'immédiat, le changement n'était pas si flagrant que ce que voulaient bien le faire croire les nouveaux dirigeants...

"Pour ce qui est des paysages Parisiens, reprit le jeune homme, revenant ainsi au sujet d'origine, je serais ravi de les découvrir, pour peu que ma Librairie m'en laisse le temps..."

Etait-ce une invitation déguisée? Non, pas vraiment. Marion se contentait, en cet instant, d'exprimer un désir sincère. Mais dire qu'il aurait refusé un guide serait mentir...
Un volet claqua au deuxième étage, et il le referma mentalement, provoquant un nouveau battement sourd. Toujours en pensées, il se promis de réparer les attaches des volets. Son estomac gargouilla soudain, et Marion se tourna vers Lucius.

"Désirez-vous grignoter quelque chose? Interrogea-t-il. Il doit me rester un peu de boudin noir et de fromage..."

Vlad errait dans les petites rues. Plus la rue était sombre, plus le repas qu'il prendrait le serait discrètement. Il passa dans des vieilles boutiques en tout genre. Antiquaires, librairies, magasins d'armes... Mais toutes étaient sombres et inhabitées. Sauf une.
La lumière qui émanait de cette librairie fit comprendre à Vlad qu'elle était toujours occupée. Il s'en approcha quand il fut stoppé net, par un aura qui dépassait la sienne, et presque celle de Vladislav, pourtant vieux de 628 ans.
Il était près de s'écrouler. Vlad toussa et cracha même du sang. Le peu de sang qu'il avait récupéré la veille. Il dut se poser sur le mur pour éviter de tomber au sol.

*Est-il possible que... non, c'est impossible, Il ne peut pas être là.*

Vlad finit par se ressaisir. Il ferma les yeux et tenta de lire dans les pensées des personnes présentes dans la librairie. Il réussit sans problème à lire dans les pensées de l'un des deux. Un humain sans doute. L'autre par contre cachait ses pensées... et surtout, il lisait lui aussi dans celles de l'humain.

*Et pourtant, il semble que c'est Lui.*

Vlad se posa le long mur. Si c'était bel et bien qui il pensait, il devrait l'attendre, quoi qu'il arrive. Même si cette envie de sang qui le tenaillait devenait de plus en plus forte...

Quand le vampire sortit de la boutique, Vlad sourit. Il avait vu juste. Ce vampire était sans doute Lucius, dont Vladislav lui avait parlé : un vampire assez vieux et puissant, mais ayant pour habitude de faire ami-ami avec ses proies, et surtout d'être trop sûr de lui...

"Il est bien tard pour une visite de courtoisie, sire Lucius." dit Vlad, sans aucune trace d'accent. "Je me présente, Vladimir Schenker, bien que ma vie m'ait donné de nombreux autres noms..."

Vlad utilisait ce nom car il ne savait pas s'ils étaient seuls ou non...

"Oui, bien sur... Alors Bonne nuit."

Marion resta un instant surpris devant le soudain départ de son hôte, sans pour autant oublier de déverrouiller puis de refermer la porte du rez de chaussée sur le passage de Lucius.

Le jeune homme se plaça ensuite à la fenêtre, je tant un oeil à ce qui se passait dans la rue. Un homme d'à peu près trente ans attendait devant la librairie, comme s'il savait que Lucius y était. Les deux hommes engagèrent la conversation et Marion haussa les épaules, supposant qu'ils se connaissaient.

Il se servit un gros morceau de fromage puis, se sentant rassasié, vérifia que toutes ses portes et fenêtres étaient soigneusement verrouillées avant d'aller se coucher.

"Pourquoi parler de filature ? Si j'avais désiré vous suivre, je l'aurai fait de façon plus discrète. Je me promenais par cette nuit qui est, en effet, magnifique, et je suis passé devant cette librairie, où j'ai ressenti une présence assez... imposante."

Vlad savait que cette explication qui, était pourtant le reflet même de la réalité, ne suffirait pas à Lucius. Les guerres intestines chez les Vampires étaient trop présentes pour qu'un vampire de l'âge de Lucius ne soit pas soupçonneux.

"Je vous propose de continuer cette discussion ailleurs. Les murs ont des oreilles."

Disant cela, il fit un signe de tête en arrière, vers la fenêtre d'où Marion les avait vus.

Vlad sourit.

"Pourquoi pourriez-vous quelque chose pour moi ? Je ne suis là que pour parler. En "ami", en quelques sortes. Vous êtes plus vieux que moi, et vous savez donc que la guerre entre les fidèles de la Reine et les autres vampires fait rage à Paris comme ailleurs, et il est toujours intéressant de savoir qui est avec nous, et qui est contre nous. Je pense avoir entendu des choses sur vous, qui me font dire que vous êtes du même côté que moi, mais rien n'est moins sur. Je préférerais l'entendre de votre bouche, si vous voyez ce que je veux dire..."

Vlad savait que sa demande était risquée, et que peu de vampires répondraient immédiatement, sans preuve que l'autre ne l'attaquerait pas.

"Vous êtes télépathe vous aussi. Regardez dans mon esprit si vous risquez quoi que ce soit si vous n'êtes pas avec moi..."

Vlad n'avait aucune volonté de s'attaquer à un vampire plus ancien que lui, et Vladislav n'était pas là pour l'aider en cas de combat. Dans cette situation, c'était lui qui risquait le plus gros si Lucius était un ennemi de la reine...

"C'est l'une des meilleures réponses que vous pouviez m'apporter ce soir..."

Lucius serra la main à Vlad. Il y mettait de la force... Vlad repliqua lui aussi, de toute sa force. Un simple duel, le genre de choses que l'on pourrait faire, entre amis...

"Parlons amitié alors, sire Lucius, un des rares vampires neutres qui existent encore. Vous n'êtes pas plus de cinq si je ne me trompe pas ? Moi même j'aimerai bien réussir à me détacher de toutes ces histoires, mais je dois à mon "créateur" de tout faire pour aider la reine..."

Vlad disait vrai. La reine, il n'en avait entendu parler que par Vladislav, et ignorait ce que cela changerait qu'il y ait une reine ou non. Sa vie libre lui plaisait, et il ne savait pas si le fait que cette reine soit là changerait quelque chose ou non.

*Qui vivra verra... et je suis parti pour vivre encore longtemps !*

"Alors, connaitriez-vous un endroit où nous pourrions avoir une discussion amicale ?"

"Mon créateur est Vladislav. Je ne connais qu'une partie de sa vie : celle qui a suivi notre rencontre. Je peux juste dire qu'il faisait partie de la Cour de Valachie, il y a plus de 300 ans. Il n'est pas très bavard, et est plutôt du genre à suivre les ordres en silence. Malgré son âge plus élevé que le mien, et plus que le votre, il me respecte comme un supérieur, étant donné mon ascendance. Et, qui est Mosheven ? Je n'en ai pas entendu parler..."

Vlad avait profité des instants pendant lesquels Lucius avait fouillé son esprit pour faire de même avec le sien. Conversation de télépathes...